Sauvez au moins le cheval !!!

 

 

A Lyon, place Bellecour, le cheval et son cavalier font partie du paysage urbain. Le monument actuel sculpté par Lemot au début du XIXe siècle, remplace celui de Desjardins détruit pendant la Révolution.

Source Gallica BNF-vue de la place Bellecour dessinée par Lallemand 1716 /1803

 

Histoire de deux statues.

Première statue

 Monument à la gloire de Louis le Grand- Graveur : Jean Audran 1667-1756. Sous l’image : « Ce monument a été érigé dans la ville de Lyon / à la gloire de Louis le Grand / Par les ordres de Monseigneur le Maréchal Duc de Villeroy / Et par les soins de Messieurs les Prévôt des Marchands et Echevins ». Source Gallica

Pendant le règne de Louis XIV, afin de magnifier la grandeur du roi, le  Consulat de Lyon décide d’ériger une statue du monarque sur le site de l’ancienne place d’armes. On a fait appel au sculpteur du Roi-Soleil, Martin Desjardins, pour dessiner le monument. Sur la future place royale dont les plans d’aménagement ont été confiés à M.de Cotte premier architecte du roi, la statue équestre ornera l’espace. Encadré de deux ensembles de bâtiments, de plusieurs rangées de tilleuls et agrémenté de deux fontaines, le terrain de jeux deviendra place Louis le Grand.

                                                                                                                                       

Bien avant l’aménagement de la place, la statue terminée arrive à Lyon en 1701, acheminée par bateau depuis une fonderie parisienne. Embarquée sur la Seine, conduite à Rouen puis au Ha

vre, elle a traversé l’océan, la Méditerranée et rejoint l’embouchure du Rhône pour une remontée du fleuve par halage humain jusqu’à Lyon (voir ficelle 87). Elle va résider pendant douze ans, entourée de planches,  dans le clos d’un hôtel particulier de la place Bellecour, en attendant son installation.

 

  1.  Leclerc, :Dessin géométral de la machine qui a servi pour l’élévation et le placement de la statue équestre

La cérémonie solennelle d’élévation de la statue sur son piédestal a lieu en décembre 1713. C’est au son du canon, des tambours et trompettes, en présence du consulat, des pennons de tous les quartiers, marchands et échevins, arquebusiers et plusieurs dizaines de milliers de spectateurs, que la figure de bronze est dégagée de sa charpente à l’aide de cordages et de poulies et déposée sur son socle.Une cérémonie  mémorable avec feux d’artifice  et vin à volonté. « Depuis midi jusqu’à neuf heures du soir, on fit couler quatre fontaines de vin dans la place Bellecour, pour augmenter la joie publique.. » (1)                                                                                                                                                                                               Le monument est majestueux. Sur un piédestal de marbre, se dressent le cheval  et son cavalier à la manière des empereurs romains.  En cuivre rouge et jaune, l’ensemble  rutile comme le désire le monarque.

Pour orner le piédestal, arrivent à Lyon quelques années plus tard, les fontes de Nicolas et Guillaume Coustou, sculpteurs lyonnais chargés des hauts-reliefs. Le premier exécute l’allégorie de la Saône, et le second celle du Rhône, encore en place aujourd’hui. « Guillaume Coustou représente le Rhône sous les traits d’un vieillard barbu couronné de pampres et d’épis de blé, allongé sur un lion couché, la main gauche posée sur un aviron, une touffe de joncs à sa gauche. La patte avant droite du lion repose sur un poisson, des fruits et des légumes. Nicolas Coustou, frère aîné de Guillaume, représente la Saône sous les traits d’une femme nue couronnée de fleurs, d’épis et de joncs, allongée sur un lion couché, le bras gauche appuyé sur un tronc d’où sort une corne d’abondance laissant échapper les produits de la nature. » (2)

 

 Le Rhône – Guillaume Coustou            

 

La Saône – Nicolas Coustou                                 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lion – Guillaume Coustou       

                                                                                                                         

Pendant une cinquantaine d’année, depuis 1738 date de fin de travaux, la place royale figure parmi les plus belles d’Europe.

La Révolution française met fin à l’Ancien Régime et à toutes ses représentations. En 1792 Louis XIV est déboulonné de son socle malgré les contestations de certains et du maire Vitet, qui essaient de faire respecter « un si bel ouvrage » en proposant de mettre le bonnet de la liberté sur la tête du prince, ou au moins de conserver le cheval « Quel emblème plus propre pour figurer un peuple généreux & fier que le cheval, le plus beau des animaux, le plus intelligent & le plus docile, emblème pour figurer un peuple généreux.» (3) Doléance non prise en compte.  La statue renversée est  découpée et livrée aux fondeurs pour en faire des canons. C’est là, que l’on découvre la présence d’une porte sous le ventre du cheval ainsi que des reliefs de repas à l’intérieur du bronze. Une cachette potentielle pour les voleurs et leur butin. (4).                                                                                                                Il ne reste plus de traces  du monument. Seuls les hauts-reliefs des frères Coustou, mis à l’abri à l’Hôtel de Ville, ont pu être sauvés de la fonderie.

 

Deuxième statue

Une trentaine d’années plus tard,  le retour des Bourbons fait renaître les effigies royales. C’est ainsi que place Bellecour le nouveau cheval caracole emportant son jeune cavalier. La représentation de Louis XIV est sublimée. Le roi monte à cru, à la romaine (sans selle ni étriers). Revêtu de la cuirasse et des brodequins antiques, la tête ceinte d’une couronne de laurier,  il symbolise le héros mythologique.

La réalisation de la sculpture a été confiée à Lemot, grand prix de Rome.  Celui-ci modèle le cheval et le cavalier dans l’argile à l’intérieur de son atelier lyonnais. L’imposante sculpture nécessite échelles et échafaudages pour permettre le travail de l’artiste.  Le roi et sa monture, modelés ensemble avant la fonte suivant le désir du sculpteur, exigent  un mode de transport adapté au chargement. Un fardier, sorte de brancard à roues,  est spécialement construit pour supporter le poids du monument tout en l’empêchant de dévier. La statue, amarrée à l’imposante charpente, prend la route en direction d’une fonderie parisienne. Tiré par une vingtaine de  chevaux, le chargement traverse les villages aux rues étroites avec succès grâce aux bonnes proportions du fardier et à l’habileté du convoyeur. Après la fonte, la statue coulée d’un seul bloc reprend la route de Lyon mais cette fois parée de symboles royaux et « précédée d’un nombreux détachement de la gendarmerie royale de Paris, aux cris répétés de vive le roi ! […] A la montée de Limonest, on a ajouté douze chevaux aux vingt qui trainaient cet équipage colossal […]  enfin, le 15 octobre 1825, vers deux heures après-midi, le chariot fait son entrée triomphale sur la place Bellecour […] les chevaux tout couverts de poussière, stimulés par leur conducteur autant que par les cris et le mouvement de la foule, sont arrivés au grand trot au milieu de la place.»* (4)

L’érection de la statue sur son piédestal est le prétexte d’une grande cérémonie  le jour de la Saint-Charles en l’honneur du roi Charles X (en réalité deux jours plus tard pour cause de pluie incessante), L’architecte Chenavard a été chargé d’élever une estrade destinée à recevoir les autorités. « C’était un portique en hémicycle composé de colonnes et de gradins  à la manière antique [..] Les marches par lesquelles on y montait étaient flanquées de deux colonnes surmontées de victoires qui rappelaient celles de l’autel de Lyon figurées sur les médailles d’Auguste.»(4) Fanfares, tambours, coups de canons et acclamations « vive le Roi ! vivent les Bourbons!», distributions de médailles, simulations de batailles, embrasement du fort de Fourvière et danses  animèrent la ville jusqu’au lendemain.

Quelques années auparavant, avait été construit le piédestal destiné à recevoir la statue. Composé de plusieurs blocs de marbres venus des carrières de Carrare, il nécessita lui aussi des modes de transport appropriés, chariots et embarcations fortement charpentés. Le bloc principal trainé sur des  rouleaux, mettra plusieurs jours pour parcourir la distance entre le port du Rhône et Bellecour. La pose de la première pierre a été l’objet d’une cérémonie officielle le 1er mai 1821. Un cortège composé des plus hautes personnalités représentant le pouvoir et le roi ont accompagné le duc d’Angoulême chargé de sceller la cavité contenant une boite de plomb renfermant des objets et textes commémoratifs. Le marteau et la truelle en vermeil ayant servi au scellement ont été remis à M.Artaud,* pour être conservés au musée Saint-Pierre dont il était le directeur.

Le Roi-Soleil a retrouvé son piédestal sur la place, et depuis ce jour,  trône au centre de la ville. On peut seulement regretter que la République, décalée sur la place Carnot,  n’ait pas eu les honneurs de la place principale de Lyon.(Voir La ficelle 78)

Les hauts-reliefs des frères Coustou, accusés par Artaud de maniérisme et théâtralité nuisant à la majesté de l’ensemble, restèrent à l’Hôtel de Ville jusqu’en 1957 date de leur retour place Bellecour.

 

 

Sources

*F. Artaud, Lyon, 1826. né à Avignon le 17 avril 1767 et mort à Orange le 27 mars 1838. Il a principalement œuvré sur les sites archéologiques de la ville antique de Lyon, Lugdunum.

(1) Description de la cérémonie P17 de l’ouvrage de Artaud « ancienne statue équestre de Louis XIV »

(2)ANNE FOREST -Les sculptures du pont Lafayette : de l’art de la réplique

(3) Jean BURDY Un cheval de bronze à Bellecour

(4)Artaud –Nouvelle statue équestre de Louis XIV -Procès-verbal de l’inauguration de la statue

Author: LaFicelle

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