RHONE LE SAUVAGE

 RHONE LE SAUVAGE

Lyon, la ville aux deux cours d’eau. L’actualité a mis en lumière deux sculptures des frères Coustou les représentant. L’une au corps féminin, la Saône. L’autre affichant sa puissance masculine, le fleuve Rhône.

Aujourd’hui c’est le Rhône qui retient notre attention. Nommé « Rhodanos » par les commerçants grecs venus de Rodes au 5ème siècle av-J.C, il deviendra rivière de Rosne, puis Rhône, un nom qui s’étendra aux départements, à la région, à la vallée et aux vins.

Première partie, du Saint Gothard à Lyon

Naissance du Rhône ©La ficelle

Depuis des millénaires, le bébé Rhône jaillit du glacier suisse et s’en va, sur 812 kilomètres, vers la Méditerranée en un large fleuve puissant, aux eaux vertes, alimenté par ses nombreux affluents. Une puissance mâle diront certains, d’ailleurs n’est-il pas le seul , en France, à avoir un nom masculin ? Au fil du temps et de son cours, il creuse sa vallée, façonne son lit, arrose les rives, dépose ses sédiments, ses alluvions, et modèle la vie des hommes qui le côtoient et l’utilisent. Un chemin naturel où pendant des siècles de navigation, de conquêtes et de commerce, le climat et la végétation, l’économie et la civilisation transforment les contrées. Les phéniciens s’y aventurent, les légions romaines y pénètrent, les Barbares déferlent, les marchandises orientales remontent le fleuve, les drapiers des Flandres le descendent, les cargaisons de vin, de sel et de monnaies y naviguent sans cesse, puis les coches d’eau transportent les voyageurs aux envies de découvertes et de sensations fortes.

Dépeint comme impétueux, violent et turbulent, il a fallu le franchir, apprendre à naviguer sur ses eaux difficiles, gérer ses débordements dévastateurs et utiliser sa force. Depuis lors, tout au long du grand fleuve s’échelonnent barrages, retenues, écluses, canaux et digues pour canaliser son débit.

Copie de la carte issue de l’ouvrage de J.M Delettrez, Le Rhône. 1974

Tout juste né du glacier, le torrent Rhône parcourt plus de 200 kilomètres en Suisse, passant notamment à Sion et à Martigny, avant d’alimenter le lac Léman, puis il franchit le barrage franco-suisse de Chancy-Pougny, et reprend en France son cours bondissant. Gonflé par les torrents qui dévalent des Alpes, il s’engouffre dans les passages et cluses qu’il a creusés dans la barrière du Jura et se perd dans les rochers avant de réapparaître.

« Ce qui se passe dans l’abîme où le Rhône se précipite, c’est ce qu’il est impossible de savoir : du bois, du liège, des chiens, des chats, ont été jetés à l’endroit où il entre, et ont été attendus vainement à l’endroit où il sort ; le gouffre n’a jamais rien rendu de ce qu’il avait englouti. » écrit Alexandre Dumas lors de sa visite du lieu qu’il décrit comme un gouffre effrayant. C’est la perte du Rhône, un encaissement brutal du cours du Rhône dans de profondes gorges, aujourd’hui submergées par les eaux de retenue du barrage de Génissiat. Une singularité identique mais plus modeste, appelée « pertes de la Valserine » est toujours visible, près de Bellegarde sur Valserine, avant la confluence de la rivière avec le Rhône.

  

« Un lac silencieux remplaçait l’onde fracassante du gouffre » écrivait Gilbert Tournier l’un des directeurs de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Une compagnie créée en 1933 par deux hommes, Léon Perrier, président du Conseil général de l’Isère, et Edouard Herriot, sénateur et maire de Lyon, tous deux convaincus des potentialités de l’énergie hydroélectrique, de la navigation et de l’irrigation des terres agricoles. Pour utiliser la puissance du Rhône, le barrage de Génissiat fut construit en aval de Bellegarde sur Valserine, créant un lac artificiel de 23 km de long. Pour le « service de la nation » comme on peut le lire sur une plaque commémorative, le village d’Essertoux fut englouti dans les eaux du lac en 1948, ainsi que la passerelle historique d’Arlod, à Bellegarde,  qui permettait le passage entre les royaumes de France et d’Italie. « Sous l’autorité des comtes de Savoie, elle servait de communication entre leurs états et le Bugey. A l’époque des zones franches, le poste de douane à l’abri des rochers permettait la surveillance des contrebandiers. » (1).

 Stèle commémorative du village. « Ici était Essertoux, village noyé en 1948, au service de la nation. »

Passerelle d’ARLOD

La centrale électrique construite sur le barrage de Génissiat, surnommé « le Niagara français » par le président Vincent Auriol en 1948, a permis aux habitants de ne plus avoir de « coupures de courant » pendant les heures de pointe. Plus loin, le barrage de Seyssel régule les grosses variations du débit du fleuve engendrées par le fonctionnement du barrage de Génissiat.

Barrage de Génissiat – Saut de ski de l’évacuateur superficiel de crues rive droite – Photo Bertrand Labévue

Aujourd’hui, le Rhône, dompté en partie par les barrages offre tout au long de son parcours des plans d’eau propices à la pêche, aux sports nautiques et à l’exploration d’une faune et d’une flore très riches dans les passes et les lônes. C’est le cas dans toute la partie supérieure du fleuve où gorges et défilés se succèdent avec une grande variété de paysages, souvent sauvages, suivant les reliefs et les débits des affluents. Le Fier dévale depuis les Aravis en une rivière-torrent si puissante qu’elle remonte le cours du Rhône sur quelques mètres.  Le canal de Savières, cours d ‘eau naturel provenant des eaux du lac du Bourget, a son débit quelquefois inversé lorsque le Rhône est en crue, ce qui provoque une élévation du niveau du lac. Ce canal fut une importante route commerciale dans le passé. De nombreuses marchandises venues d’Orient, chargées au Bourget sur des barques, passaient à Chanaz et remontaient le Rhône jusqu’à Seyssel où des chars les attendaient pour être transportées à Genève. Les barques chargées de sel, de draps et d’autres objets devaient s’acquitter d’un droit de péage à l’entrée du canal. Aujourd’hui ce cours d’eau  offre son paysage aux visiteurs épris de beauté calme.

Canal de Savières – Photo La ficelle

Tandis que le Rhône continue sa course à travers des gorges, longe des marais formés par ses anciens sédiments et se disperse en bras, lacs et îles, l’aménagement d’un canal de dérivation, de Chanaz à Brens, a fait de cette partie du Rhône un site naturel protégé.

 Gorges de la Balme, appelées aussi Défilé de Pierre-Chatel, depuis Notre-Dame de la Montagne à Yenne – Photo Patrice78500

Toujours rapide, Le Rhône rencontre les eaux abondantes du Guiers qui le repoussent au Nord-Ouest. Une puissance qui a dû nécessiter le creusement d’un canal de dérivation pour aménager la centrale électrique de Brégnier-Cordon et réduire l’importance des crues.

 

Des sentiers de randonnées, des routes et des pistes cyclables, permettent une belle approche des sites, qu’ils soient sauvages ou aménagés en zones de pêche et bases nautiques. L’île de la Serre, formée entre deux des bras du Rhône, fait partie de l’aménagement de Sault-Brénaz constitué d’un barrage et d’une centrale électrique gérés par la CNR, et d’un site important de pratique du kayak.

 Grottes de la Balme, un incontournable détour. L’ouverture des grottes se situe sur une falaise dominant le Rhône Deux chapelles y furent construites au 9ème et 14ème siècle et reçurent la visite de François 1er et sa mère Louise de Savoie. Les grottes ont probablement aussi servi d’abri à Mandrin, le célèbre contrebandier-justicier. Gravure de Victor Cassien – 1836.

La rencontre avec l’Ain forme un beau site naturel avec un fleuve large et puissant. Afin de limiter son débit avant l’agglomération lyonnaise, un barrage est construit et deux canaux sont creusés. Le canal de Jonage alimente ainsi l’usine hydroélectrique de Cusset (voir Ficelle n° 129) et sa réserve d’eau du Grand Large. Le canal de Miribel est une dérivation du Rhône. Il alimente les eaux du parc du même nom qui, non seulement est devenu un parc de loisirs, mais une retenue d’eau potable de secours, tout en constituant une zone inondable pour protéger Lyon en cas de crues. Il est aussi une zone de protection du patrimoine naturel.

Le Rhône a été un axe de navigation, une frontière, puis est devenu un producteur d’électricité, un refroidisseur de centrales nucléaires et en même temps une zone de biodiversité et de loisirs. C’est le cas de la Ferme aux crocodiles, parc animalier qui bénéficie des eaux chaudes rejetées par la centrale de Pierrelatte pour alimenter l’immense serre tropicale dans laquelle évoluent plusieurs espèces de reptiles et poissons.

A suivre dans le prochain numéro. Le Rhône de Lyon à la Méditerranée.

SOURCES

Pierre Thomas – Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS Lyon

J.M.Delettrez – Le Rhône

(1) Le Dauphiné – Essertoux, un village sacrifié pour la nation, Jean-Noël GUINET

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Author: LaFicelle

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