Les autels tauroboliques découverts à Lyon montrent que les habitants de Lugdunum vouaient un culte à Cybèle. Cette déesse était connue notamment pour avoir frappé son amant de folie, par jalousie, le poussant à s’émasculer lui-même.
Un bloc de pierre est retrouvé dans les vignes d’un certain Monsieur Bourgeat au début du XVIIIe siècle. Ces vignes, situées à proxomité du théâtre antique de Fourvière, abritaient un autel taurobolique datant de 160 après Jésus-Christ. Cet autel, de 140 cm de hauteur et de 45 cm de largeur, commémore le tauroble du 8 décembre 160, à Lugdunum. On appelle taurobole le sacrifice d’un taureau à la déesse Cybèle.
En dédicace, il est gravé (en latin) :
« Taurobole de la grande Mère des dieux Idaéenne, qui fut fait par ordre de la Mère des dieux pour la prospérité de l’empereur César Titus Aelius Hadrien Antonin le Pieux, Père de la Patrie, et de ses enfants et de la colonie de Lugdunum.
Lucius Aemilius Carpus, sevir, augustal et dendrophore, a reçu et rapporté du Vatican les vires des victimes et consacré à ses frais cet autel et son bucrane.
Le prêtre officiant a été Quintus Sammius Secundus, décoré par les quindecemvirs du collier et de la couronne et gratifié par décret du sanctissime ordre lyonnais de la perpétuité du sacerdoce; Fait sous le consulat de Appius Annius Atilius Bradua et de Titus Clodius Vibius Varus ».
Emplacement donné par décret par les décurions. Les vires, peuvent signifier les cornes de l’animal, mais aussi ses testicules.
Pendant la cérémonie de minuit, ce taurobole fut fait le cinq des ides de décembre
C’est cette découverte qui a poussé Amable Audin à croire qu’un temple de Cybèle se trouvait autrefois au dessus du théâtre antique. Supposition remise en question par des fouilles des années 90.
« L’inscription révèle que l’autel consacrait un sacrifice offert le 9 décembre 160 pour le salut de l’empereur Antonin et le maintien de la colonie de Lugdunum. Erigé en un lieu offert par les décurions de cette ville, il l’avait été sur l’ordre de la déesse elle-même, ex imperio Matris Deum. L’intervention directe de celle-ci suggère que le sacrifice marquait à la fois la dédicace de son sanctuaire et le déclenchement de son culte à Lugdunum. Effectivement, on lit que la perpétuité du sacerdoce fut accordée au prêtre par décret du sanctissime Ordo de Lugdunum. Ainsi s’affirme à chaque mot l’étroite dépendance entre le clergé de Cybèle et la municipalité lyonnaise. »
* Six autres autels ont été retrouvés dans le sol lyonnais, mais celui de 160 est encore en parfait état.
Mais qui était Cybèle?
Le mythe le plus répandu raconte que la déesse est née de la semence de Zeus, endormi, tombée sur le sol du mont Dindyme. Cybèle possédait à sa naissance des organes génitaux mâles et femelles. Les dieux émasculèrent cette créature et Cybèle devint une déesse. Les organes coupés, quant à eux, tombèrent par terre et donnèrent naissance à un amandier. Un jour, une amande tomba dans le sein de Nana, fille du Dieu Sangarios. Le fruit pénétra les entrailles de Nana qui donna naissance à Attis. Quand Attis devint un beau jeune homme, Cybèle en tomba amoureuse. Mais le garçon lui préféra la fille du roi Pessinonte qu’il se préparait à épouser. Jalouse, Cybèle frappa de folie Attis qui s’émascula et mourut de ses blessures.
Une autre légende raconte que Cybèle était en fait la fille de Méion, roi de Phrygie et de sa femme Dindyme. Abandonnée par ses parents dans la montagne, elle est nourrie par des lions et des léopards.
« Elle était douée du pouvoir de guérison et protégeait les enfants et les créatures sauvages. »**
Elle tombe amoureuse d’Attis, en fait son prêtre et lui fait jurer fidélité éternelle. Attis a une aventure avec une nymphe. Cybèle, jalouse, « le frappa de folie, après quoi il s’émascula et mourut de sa blessure ».** Une prophétie datant de 205 avant J.-C. révèle aux Romains que pour s’assurer de la victoire lors de la seconde guerre punique ils devaient récupérer le bétyle, la pierre sacrée représentant la déesse. Un temple est dédié à Cybèle, à Rome, dès 191 avant J-C.
Les prêtres du culte de Cybèle, dans l’empire romain, sont des galles. Il s’agit de prêtres eunuques. Ces prêtres se castraient eux-mêmes avec une pierre taillée, afin d’imiter le geste d’Attis. La cérémonie de castration se déroulait tous les ans, le 24 mars.
Le taurobole était un autre rituel dédié à Cybèle. On sacrifiait un taureau pour la prospérité de l’empereur ou pour le bénéfice d’un particulier et de sa famille.
« On creuse une fosse dans la terre, et le grand prêtre s’enfonce dans ses profondeurs pour y recevoir cette consécration. Sa tête porte des rubans merveilleux ; à ses tempes sont nouées des bandelettes de fête, une couronne d’or retient ses cheveux (…). Avec des planches disposées au-dessus de la fosse, on aménage une plate-forme à claire-voie, (…). Puis on pratique des fentes ou des trous dans ce plancher, on perfore le bois de petites ouvertures. C’est là qu’on amène un taureau énorme, au front farouche et hérissé; une guirlande de fleurs forme un lien autour de ses épaules ou de ses cornes enchaînées; de l’or brille sur le front de la victime; son poil est recouvert de l’éclat d’un placage doré. C’est là qu’on place l’animal à immoler; puis on lui déchire la poitrine à coups d’épieu sacré. La vaste blessure vomit un flot de sang brûlant; sur les planches assemblées du pont où gît le taureau, elle déverse un torrent chaud et se répand en bouillonnant. Alors, à travers les mille fentes du bois, la rosée sanglante coule dans la fosse; le prêtre enfermé dans la fosse la reçoit; il présente la tête à toutes les gouttes qui tombent ; il y expose ses vêtements et tout son corps, qu’elles souillent (…). Une fois que les flamines ont retiré du plancher le cadavre exsangue et rigide, le pontife sort et s’avance, horrible à voir; il étale aux regards sa tête humide, sa barbe alourdie, ses bandelettes mouillées, ses habits saturés… »***
Il pouvait aussi s’agir de l’émasculation de l’animal.
A Lyon, on ignore toujours si un temple dédié à Cybèle a existé, mais on sait, par le nombre d’autels tauroboliques retrouvés, que les Lyonnais vouaient un culte à la déesse phrygienne. Un certain nombre de cornes ou de testicules de taureaux ont dû être arrachés dans l’Antiquité…
* d’après Lyon miroir de Rome, d’Amable Audin.
** d’après le Dictionnaire de la Mythologie, de Michael Grant et John Hazel
*** Prudence, Livre des couronnes, X, 1016-1050