Rue Neyret, en bordure du Jardin des Plantes, le grand bâtiment domine la ville.
Fallait-il le construire en 1960 pour l’abandonner en 2006? Ce bâtiment est à l’image de l’école des Beaux-Arts qui subit les humeurs locales.
Ballotée de toutes parts, éclatée dans son enseignement, déménageant de bâtiments en bâtiments, ne trouvant pas sa place entre école de dessin, école d’art ou école d’arts appliqués, l’ école des Beaux Arts a souffert de l’absence d’un statut propre et d’une architecture appropriée…..
Une école à la recherche de son identité. Les avatars de son histoire.
Nous sommes en 1675 lorsque Thomas Blanchet, peintre attitré de la ville de Lyon, décore l’Hôtel de ville, le Palais de justice, les stucs du réfectoire, les peintures de l’abbaye st Pierre… Le projet d’une académie (enseignement public) de peinture et sculpture lui tient à coeur. Puisque les peintres partaient perfectionner leur art à Rome, Lyon ne serait-elle pas une étape sur la route de l’Italie?
Malgré la qualité des professeurs comme Coysevox et Blanchet, et l’engouement suscité, l’entreprise avorta.
Le développement économique restant le moteur des initiatives, l’abbé Lacroix en 1751 émit l’idée d’une école publique gratuite de dessin pour former les jeunes gens du peuple, développer les qualités d’observation et «perfectionner les sens». Paris ne serait plus la destination obligatoire des formations. Le dessin serait utile aussi bien aux futurs dessinateurs de soierie qu’aux futurs artistes. Les anciens jeux de paume furent réquisitionnés mais le projet ne put aboutir, les études étant considérées comme trop longues et trop chères pour de «simples» dessinateurs de soierie, sans compter l’hérésie du mélange des genres «les dessinateurs de soierie se prendraient pour des artistes».
Depuis la Renaissance, la région était un centre important de l’étude des fleurs et des plantes. Le Jardin des Plantes, développé par l’art de l’horticulture, était devenu source d’inspiration pour les élèves dessinateurs. Les fleurs étaient la marque de fabrique et faisaient partie de la tradition lyonnaise, aussi, les fabricants-dessinateurs prônèrent-ils la création d’une simple classe de fleurs. .
Disputes et rivalités allèrent bon train pour prendre la direction de la nouvelle école située dans la maison Thomassin en 1757. Petite école: 2 classes et une vingtaine d’élèves dont Alexis Grognard.
Mais les locaux peu appropriés rendirent déjà nécessaire la recherche d’un autre lieu. L’école déménagea en 1767 pour occuper l’Hôtel du Gouvernement puis, suivant les conseils de Perrache alors professeur de sculpture, le Grand Collège (lycée Ampère) après le départ des Jésuites. Peu de temps après son installation, suivra une émeute qui saccagea le collège de médecine et la classe de modèle vivant (les médecins du rez de chaussée furent soupçonnés d’enlever les enfants pour les disséquer et servir de modèle) Tout fut jeté par les fenêtres et brûlé, ce qui n’arrangea pas les finances de l’établissement. Les cours de figure, peinture, sculpture, géométrie, fleurs purent cependant avoir lieu.
De réorganisation en réorganisation les cours furent déplacés en partie à l’Hôtel de Ville et d’ autres dans la Salle du Concert place des Cordeliers. En 1780, elle prend le nom d’ Ecole Royale de Dessin et de Géométrie pratique.
Pendant la Révolution, bien que l’école subisse les contrecoups du Siège de Lyon qui mit la ville à bas, elle continuera de fonctionner grâce au secours financier accordé par le Directoire et ceci malgré la mauvaise situation économique. Les étoffes se vendaient mal, les métiers étaient utilisés au ralenti entraînant la baisse du nombre d’élèves, les élèves de la classe de fleurs étant la majorité de l’effectif.
L’importance économique de La Fabrique lyonnaise joua sur tous les secteurs.
Lyon était depuis le 16e siècle, après l’ouverture des foires, la ville des manufactures de soie. Le monopole du marché de la soie accordé par le roi en 1540 permit à La Fabrique lyonnaise d’agrandir sa notoriété. Les grands façonnés, les étoffes imprimées fabriquées à Lyon circulaient dans l’Europe entière. Mais l’industrie était fragile, soumise aux caprices de la mode. La Révolution et la concurrence la malmenèrent , il fut nécessaire de trouver des remèdes pour ralentir son déclin. ..Pour donner de l’élan à l’économie lyonnaise, Napoléon Bonaparte décida de renouer avec les commandes officielles et encouragea la réorganisation de La Fabrique. Il commanda une série de tentures et tissus d’ameublement pour habiller les palais impériaux tout en mettant en place des règlements afin de solidifier la structure, comme le Conseil des Prud’hommes, la création de l’école de Tissage, l’ouverture de la Condition des soies.
La Fabrique spécialisa sa production. L’ameublement, la robe, l’uni et le façonné, la liturgie, le châle,la broderie, autant de secteurs où le renouvellement des dessins était essentiel d’où la question de la formation des artistes qui se posa et les choix difficiles pour l’avenir de l’école.
- Les uns préféraient une école académique et pratique avec une classe de modèle vivant, des conférences, ainsi que l’ accueil aux artistes de passage qui prodigueraient leur vision des choses artistiques.
- Les autres ,comme Lacroix, envisageaient une école à l’enseignement varié pour former des grands peintres, sculpteurs, architectes et dessinateurs en s’adressant à tous. et
- Enfin, une troisième école préconisait un établissement d’arts appliqués ( fleur ou fabrication des étoffes avec étude des fleurs naturelles, de la mise en carte, de la composition des étoffes)
Les divergences s’accentuèrent- Former des artistes ou des artisans?
Les questions se posèrent sur le bien-fondé de la réunion de toutes les disciplines (suivant l’exemple de Grenoble qui les enseignait toutes) . Faut-il un enseignement artistique en même temps tourné vers les Beaux-Arts et appliqué à l’industrie? Question laissée encore sans réponse lors de l’ouverture de la nouvelle Ecole Impériale des Beaux Arts de Lyon (1805).
La recherche d’un nouveau local s’accéléra et en 1807 entraîna un emménagement dans une aile du Palais Saint Pierre. Un lieu considéré comme provisoire mais qui abrita pendant 130 ans les sept classes de peinture, sculpture, fleur, architecture, mise en cartes, principes et modèle. L’admission était réservée de préférence aux enfants de négociants ou fabricants dès l’age de 12 ans, et ceci jusqu’après la guerre de 1914 où il est relevé à 17 ans.
Pourquoi le Palais Saint Pierre? Parce qu’en 1807 il a été décidé de regrouper dans ce lieu l’ensemble des activités culturelles et d’enseignement supérieur. Faculté de lettres, Faculté de Droit, Faculté des Sciences, Bibliothèque, atelier de fabrication d’étoffes, Musée des Beaux Arts et Cabinet d’Histoire Naturelle où les futurs artistes pourraient bénéficier des acquisitions comme modèle et inspiration.
Le Palais des Arts est un beau et grand bâtiment du 17e siècle construit pour les Bénédictines, l’architecture étant adaptée à leurs demandes, mais l’était-elle vraiment pour abriter une école d’art? La lumière dispensée pour le recueillement et la prière était-elle suffisante pour l’étude de la couleur?Les locaux s’avérèrent vite inadaptés. Exigus, délabrés, livrés aux courant d’air, mal chauffés, ils ne répondaient pas aux besoins d’une école, sans la lumière indispensable, ni l’ espace suffisant pour y travailler «largement». Outre les conditions matérielles propres à chaque enseignement, leur diversité entraîna des heurts, chacun prônant son importance et revendiquant son espace. Les nouvelles collections avaient besoin de place, l’atelier de gravure nouvellement créé tout autant. Les combles furent réquisitionnés, les caves aménagées, les classes déménagées.
C’est en 1903 qu’ un projet d’implantation d’une Ecole Régionale d’Architecture à Lyon se dessina. La future école devant rester au sein des Beaux- Arts dont elle faisait corps,il restait à trouver les aménagements des locaux nécessaires pour y parvenir. Sans d’importants travaux, le grand bâtiment saturé, n’offrait plus la possibilité d’améliorer les conditions de travail des élèves et empêchait l’ouverture de nouvelles salles de cours, une galerie de modèles, des gradins pour la salle de modèles vivants, les salles de concours ou un agrandissement de la bibliothèque.
Les idées d’agrandissement et d’aménagement fusèrent mais les décisions tardèrent.
Tony Garnier, l’architecte favori d’ Edouard Herriot, eut la charge de penser et d’étudier un projet d’école globale des Beaux-Arts qui ne pouvait que s’implanter à la XR lieu où se tenaient la plupart des ateliers de tissage. Cette étude déboucha sur un projet cohérent d’une école à l’image du Bauhaus, regroupant l’ensemble des enseignements des arts. Projet ambitieux qui voulait réunir en un seul lieu les arts appliqués et les Beaux-Arts. Ce projet d’envergure qui devait s’implanter cours des Chartreux aurait pu mettre Lyon à la hauteur des grands lieux de recherches artistiques . Mais pour des raisons financières il fit long feu, du moins dans sa globalité, et il ne fut décidé que la partie école de tissage en 1927, achevée en 1934. Cependant cette école construite au moment où la crise de la soierie sévissait , fut dans l’incapacité de réunir le nombre nécessaire d’élèves au bon fonctionnement de l’école. C’est à ce moment ,après avoir passé en revue tous les lieux possibles, qu’il fut décidé, de transférer l’ école des Beaux-Arts dans ces locaux en 1936.
L’école de tissage bien que très vaste n’était pas conçue pour recevoir l’ensemble des disciplines artistiques, ainsi que toutes celles correspondant au tissage, et fut vite saturée. Un grand projet d’agrandissement fut donc mis à l’étude en 1941. Pourquoi pas une surélévation?
En attendant les agrandissements, l’école de tissage qui reprenait du service, s’étendait, récupérait des espaces, au détriment de l’école des Beaux-Arts qui dut trouver d’autres solutions. La taille directe dans les gros blocs de pierre se révéla impossible,une ancienne salle d’exposition, un hangar du rez de chaussée avec entrée charretière pour entrer les blocs de pierre furent aménagés. Les ciseaux et les broches furent trouvées malgré les restrictions de 1943, et le cours de sculpture put fonctionner. Malheureusement l’outillage d’imprimerie pour le cours de publicité ainsi que l’atelier d’impression sur étoffes offert par la maison Brunet ne trouvèrent pas leur place.
La cohabitation resta difficile,L’école souffrait, comme toujours, du manque de place. La nécessité de construire se fit de nouveau sentir. En 1945 Tony Garnier, favorable pour une construction en continuité de l’Ecole de Tissage, cours des Chartreux, mit de nouveaux plans à l’étude. Tout pouvait s’arranger. Le centre d’art convoité semblait proche.
Mais pour des raisons obscures, seules des améliorations de détails eurent lieu et le projet fut une nouvelle fois abandonné.
C’est en 1946 que le principe de la construction d’une nouvelle école des Beaux-Arts se concrétisa enfin. La construction fut arrêtée par Edouard Herriot. Un emprunt sera lancé. Il faut maintenant trouver l’architecte qui produira rapidement un projet et un devis adéquat.
Ce sont les plans de Bellemain, architecte et directeur de l’école des Beaux-Arts, qui seront acceptés après de nombreuses réticences et longues tergiversations de la part des autorités. La nouvelle école sera construite rue Neyret en remplacement de la caserne Franceschi, ancien couvent du Bon Pasteur, qui avait été mise à la disposition des enseignants en 1948. La première tranche de travaux débuta en 1952, les deux autres devant suivre au cours des 2 années suivantes.
Plusieurs classes furent contraintes de déménager de nouveau. Les cours continuèrent de fonctionner partagés entre les vieux bâtiments aux fuites et infiltrations nombreuses qu’on ne réparait plus, et le nouveau en cours de construction.. A cheval sur deux établissements, l’administration connut des moments difficiles dans sa gestion. Intendance, surveillance, gardiennage, autant de problèmes à résoudre. Petit à petit la caserne fut détruite faisant place à la partie nouvellement construite. Au fur et à mesure des démolitions, les classes déménagèrent et quelquefois disparurent. La classe de gravure n’eut plus de local avant la reconstruction. En 1953 c’est la classe d’architecture qui dut s’établir montée du Gourguillon. Un préfabriqué fut installé dans le stade du Clos-Jouve pour recevoir des classes de dessin. Puis ce fut le tour de la bibliothèque qui intégra les lieux de l’Annexe mais resta dans les caisses.
La longueur des travaux fit nuisance au fonctionnement de l’école et entraîna une diminution d’effectif. Louis Pradel, le nouveau maire, s’en inquiéta auprès de l’architecte pour que les travaux s’accélèrent préconisant des sanctions pécuniaires à l’égard des entrepreneurs, pour le retard, tout en refusant la dépense supplémentaire pour des aménagements de dernière minute : salles d’expo, garage deux-roues, remises, locaux pour les cours du soir…
En 1954, pendant que la partie centrale de la caserne est démolie, la 2e tranche commence. 1955 la première tranche s’achève en partie. En 1958 la presque totalité des classes intègre les nouveaux locaux pendant que la 3e tranche débute.
ENFIN ! Le 26 septembre 1960 la rentrée scolaire a lieu dans le bâtiment terminé.
Le projet d’une nouvelle école des Beaux Arts voit enfin le jour. L’ Inspecteur Général de l’Enseignement des Beaux-Arts s’enthousiasme en 1963 lors d’une visite des locaux. «Lyon a désormais une école qui lui fait honneur» «proportions, clarté, parfaite adaptation…avec de merveilleux locaux, l’ Ecole des Beaux-Arts est maintenant bien logée»
Le nouveau bâtiment de 6500m2 , long de 111 mètres domine la rue des Tables Claudiennes et le Jardin des Plantes. Un RC et deux étages sur l’ensemble du bâtiment, un troisième uniquement sur le corps central pour les loges et salles d’examens. Deux ailes symétriques donnant rue Neyret pour les salles de classe, les bureaux, avec un long couloir de circulation largement éclairé côté sud.
L’école est grande, la lumière entre à flots, les salles de classe sont spacieuses, le matériel est satisfaisant.
Hors le départ de l’école d’architecture qui intégra un bâtiment spécifique à Vaux-en-Velin, et les événements de 1968, ce bâtiment fonctionnera sans heurt majeur jusqu’à son abandon en 2006.
Maintenant se pose la question cruciale. Pourquoi cet abandon?
On avait crée une école répondant a tous les critères d’un tel établissement ,mais voilà, les objectifs ayant changé , l’établissement ne devait plus être une école mais un espace de créativité, et pour ce faire, le lieu choisi en 2007 fut l’ancien couvent de Sainte Marie des Chaînes. (l’histoire se répète). Bâtiment non spécifique mais aménagé, où ont été regroupées les activités d’art scéniques et visuels dans le but d’élargir l’horizon des étudiants des Beaux-Arts à d’autres disciplines. Elle devient école Supérieure des Beaux-Arts. Idée louable, sauf qu’il s’avère que les bâtiments ne peuvent recevoir la totalité des enseignements, malgré les 10 000m2 et les nouveaux aménagements, et qu’il fallut trouver d’autres locaux. Les cours de dessin sont dispensés dans la mairie du 5e, à l’emplacement de l’ancien Petit Collège. ( bis repetita…)Alors une deuxième question se pose: Pourquoi n’avoir pas utilisé l’école de la rue Neyret,?
Quels vices ont ces locaux pour qu’ils soient abandonnés soudainement et aussi irréversiblement?
Une troisième question vient tout naturellement. Qu’en est-il aujourd’hui de l’avenir du grand bâtiment «livré aux affres du temps»? Démoli ou réhabilité? ( le coût de la déconstruction est estimé à plus de 1200 000 € en 2008 )
12 septembre 2015
En réaction au titre et au dernier paragraphe de votre publication: si vous aviez eu le réflexe de poser la question au directeur de l’école à l’époque de la rue Neyret ou bien à un professeur ou même un ancien étudiant vous n’auriez pu écrire ça!
En effet les enseignements dispensés et les travaux réalisés par les étudiants ont énormément évolués entre 1960 et 2006 (et même avant…), le nombre d’étudiants sur le site, la disposition des locaux, leur vétusté et leur exiguïté font que ce bâtiment n’était effectivement plus du tout adapté! Et une grande partie de l’espace était en fait mangé par d’immenses couloirs! Les élèves de première année (entre 90 et 100 bien souvent) étaient « consignés » au sous-sol, un comble que de suivre des cours de peinture et couleur à la lumière néon… Les 2e années disposaient d’un espace de 70m2 pour 50 étudiants. La lumière entrait à flots, oui: dans les couloirs car les salles de cours donnaient pour la plupart côté nord soit dans la sombre rue Neyret. Il était très difficile à ceux qui voulaient réaliser des volumes ou peindre de le faire, car l’espace étant trop petit pour tous nous ne pouvions pas réellement nous installer pour travailler pour une longue durée. Résultat le travail de beaucoup d’élèves finissait par être très conceptuel (voir presque virtuel…) Les locaux ne font peut-être pas tout mais au vu des réalisations des étudiants de l’actuelle école on ne peut que constater un vrai travail d’atelier, de recherche, et des pratiques artistiques beaucoup plus variées. De plus les locaux ont permis de proposer des cursus en plus (DNAT notamment). Alors non, je ne peux être d’accord avec vous, ce n’est pas un gâchis mais une réelle nécessité et une chose positive, que ce soit pour les étudiants, leur formation ou encore le rayonnement de l’école et par là de la ville.
Avis d’une ancienne étudiante rue Neyret (pendant 5 ans)