Un espace à partager
A une demi-heure de Lyon, c’est le domaine des mille étangs. Un paysage singulier s’offre à nous. Peuplé de canards, poules d’eau, cygnes et ragondins, il joue les reflets à travers les roseaux. Le sentiment de paix qui s’en dégage ne laisse pas imaginer la dépense d’énergie nécessaire à son existence. Un environnement étonnant quand on sait que les étangs ont été entièrement façonnés par l’homme.
Tout est unique ici, à commencer par le nom. Doit-on employer le pluriel ou le singulier ? Doit-on dire les Dombes pour la logique du S final, ou la Dombes ? Y-avait-il plusieurs Dombes ? A ce jour aucune solution satisfaisante n’a été trouvée. La première trace écrite date du VIe siècle et mentionne la région du nom latin pagus dumbensis, ce qui peut justifier le S final, sans toutefois ne connaître ni l’origine ni le sens.
Il est certain, par contre, que le pays a connu des guerres fratricides, des invasions et des pillages qui entraînèrent appauvrissement et famine. C’est dans ce contexte que les étangs furent créés afin de pallier le manque de denrées alimentaires nécessaires en « cultivant » le poisson. Une culture unique qui fait alterner pisciculture et céréaliculture.
C’est au XIIIe siècle que l’on trouve des premiers documents citant les étangs. Considérés d’intérêt public grâce à la production de carpes, ils se développèrent considérablement au XVe siècle. Cependant, jugés comme porteurs de miasmes pestilentiels, ils furent menacés d’assèchement total au XIXe. Affrontements et querelles s’en suivirent jusqu’à la victoire des carpiers sur les dessécheurs. Aujourd’hui les étangs continuent d’être exploités, la Dombes étant la première région d’élevage de poissons d’étangs de France.
LA GESTION DES ETANGS
Les étangs artificiels s’étalent sur plusieurs hectares situés sur un plateau au faible relief et aux pentes peu prononcées. Favorisé par un sol imperméable dû aux alluvions glaciaires et à une humidité fréquente, la boue des marécages initiaux permirent l’aménagement des étangs. Ceux-ci conjugués au système de régulation de l’eau a donné sa singularité à la région.
La gestion des étangs, en grande partie reliés les uns aux autres, implique une règlementation exigeante. Chaque étang, ou groupe d’étangs, appartient à un propriétaire tenu de respecter les règles de fonctionnement de l’ensemble du réseau hydrographique, la répartition de l’eau étant la condition essentielle de la réussite de l’exploitation piscicole : « enlever l’eau où il y en a trop et en mettre là où il n’y en a pas assez (1)».
Schéma d’un étang
Depuis l’origine, un réseau de fossés dont la réunion forme des rivières, articule la circulation de l’eau en récupérant l’excédent de certains étangs pour le redistribuer à d’autres par un système de vidanges. Chaque étang possède une ou plusieurs entrées d’eau, une sortie et un trop-plein, la pente jouant le rôle de moteur. Pour cela la terre doit être relevée dans les parties basses pour retenir l’eau de pluie, seule source d’approvisionnement en eau de la région. Dépendant du climat et de la topographie du terrain, le système s’avère complexe dans la multiplication des possibilités d’intervention. Les différences de niveaux, le degré d’assèchement, le calendrier des pêches, l’alternance des périodes d’eau et d’ assec, sont autant de paramètres qu’il faut gérer.
La circulation de l’eau est donc soumise à des règles. Chacun est tenu de donner de l’eau à son voisin. « L’eau, on est tenu de la prendre. On n’est pas maître de l’eau, on n’a pas le droit de la détourner, elle doit passer dans l’étang et il faut la faire circuler (1)». Usages et coutumes sont consignés dans un document datant du XVIe siècle « la coutume de Villars » qui concerne toute la Dombes. Repris par Rivoire et Truchelut en 1904, il fait référence, encore aujourd’hui, en cas de litige.
L’EVOLAGE : L’ETANG EN EAU ET LE POISSON
La Dombes est la première région française productrice de poissons d’étangs. Gardons, brochets, tanches, sont les espèces de poissons élevés, la carpe étant le poisson privilégié. Leur élevage s’établit sur un système unique, qui alterne les périodes de culture du poisson et celle des céréales.
La carpe se développe dans les eaux calmes des étangs. Elle atteint son poids adulte de 1,5kg en 2 ou 3 ans. Le brochet, la tanche, le sandre et d’autres poissons blancs participent à l’écosystème. La perche-soleil et le poisson-chat se nourrissant de petits poissons, font des ravages dans l’étang,
De la qualité de l’eau dépend la bonne « culture » du poisson et pour cela l’entretien de l’étang et des rivières de détourne s’impose : Débroussailler ou curer pour que la végétation ou l’excès de boue, non seulement évite les inondations des terrains alentour, mais favorise leur drainage, nettoyer les grilles d’arrivée d’eau et surveiller les fuites éventuelles souvent provoquées par des galeries creusées par les rats musqués…
L’espace libéré permet aux poissons de se nourrir du plancton, des micro-organismes végétaux et animaux qui se développent naturellement dans l’étang. En cas de fragilisation de cette alimentation naturelle, en période d’hiver, des céréales sont apportées en complément. Ces céréales proviennent de l’environnement local.
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La pêche
Pêche avec filochon
La période de pêche s’étale entre les mois d’octobre et janvier. Elle commence par le vidage de l’étang. L’opération peut durer plusieurs jours et nécessite une surveillance accrue des grilles. Au fur et à mesure que le niveau d’eau baisse, les poissons se regroupent dans la zone basse où les hommes peuvent les recueillir. Chaussés de cuissardes, ils tirent le filet en direction de la pêcherie où sont triés les poissons. Regroupés par catégories, ils vont rejoindre les étangs correspondants à leur gabarit : les alevins, des femelles et des mâles pour la reproduction, dans différents étangs propres à leur développement, les autres sont acheminés vers les points de vente. Un marché important, avec Allemagne surtout. Il faut noter l’évolution qui a lieu depuis plusieurs années concernant le respect du bien-être de l‘animal. Pendant la pêche, on n’utilise plus les filochons pour récupérer les poissons afin d’éviter leur entassement et la violence produite « les poissons qui étaient au fond recevaient les vingt kilos sur la tête »(2) .Ils sont remplacés par des longues bassines perforées dans lesquelles ils circulent rapidement sans être malmenés.
Un peu plus de la moitié de la récolte est destinée à la consommation, le reste au repeuplement
L’ASSEC
Tous les quatre ans, pour un bon nombre d’étangs, la culture du poisson est remplacée par celle d’une céréale, avoine et autres, c’est ce qui fait la spécificité de la Dombes. Un assèchement bénéfique à plusieurs niveaux. Il permet les travaux d’entretien, la destruction des parasites grâce au soleil qui fait office de désinfectant, et contribue au renouvellement des espèces végétales et à la qualité de l’eau. Exposé à l’air libre et au soleil, l’excès de boue et de vase s’assèche et libère les éléments nutritifs qui, mélangés à l’humidité constante du fond de l’étang rendent le sol propice à la culture.
UN ENVIRONNEMENT UNIQUE, UN ESPACE A PARTAGER.
La Dombes et ses étangs participent à la diversité des écosystèmes et des espèces, tout en fournissant le travail, les loisirs et les revenus qu’ils génèrent.
L’étang dombiste, aux eaux peu profondes, à la végétation aquatique, attire les oiseaux qui contribuent à la biodiversité. Roseaux, joncs et vasières ( berges découvertes pendant l’évaporation) fournissent des abris et permettent à différentes espèces d’y faire leur nid, migratrices ou sédentaires. Chacun y trouve sa nourriture : vase pour certains, poissons pour d’autres. Les hérons, les mouettes et surtout les cormorans, y font des ravages.
L’étang est aussi très apprécié des chasseurs. Avec un permis de chasse délivré par les propriétaires d’étang, ils peuvent chasser le gibier d’eau, canards et bécassines pendant les périodes autorisées. Un revenu qui permet aux propriétaires d’effectuer des travaux d’entretien de l’étang.
Créés pour la pisciculture, les étangs font partie d’un ensemble complexe aux enjeux multiples. Economiques et environnementaux, ils concernent un ensemble de corporations qui ont des intérêts communs : propriétaires d’étangs, exploitants, pisciculteurs et agriculteurs, chasseurs, défenseurs de l’environnement…Tous sont liés aux étangs, comme les étangs eux-mêmes. Cependant des polémiques existent entre les corporations.
La tentative de création d’un PNR, Parc Naturel Régional(3), produit beaucoup de tensions entre les acteurs qui pourtant tendent au même but, celui de la préservation de la Dombes.
ENTRETIENS :
Michel RAYMONDPrésident de l’association Pays de Dombes.
Quelles sont les difficultés actuelles de gestion des étangs? « Elles sont nombreuses, et au coeur de la problématique qui aurait dû conduire à la création du Parc Naturel Régional de la Dombes : la principale c’est une mauvaise qualité de l’eau liée souvent aux pesticides des grandes cultures qui, avec le réchauffement, entraînent la disparition de certaines espèces et la prolifération d’autres. »
-Qu’en est-il de la préservation de la région? « Les protections existantes sont NATURA 2000 (4) qui couvre toute la zone des étangs, mais ne protège que marginalement, et quelques réserves. Le projet de PNR de la Dombes était lancé, l’Etat avait donné son accord en mai 2015. Face à des oppositions locales, le projet a avancé doucement, car nous cherchions une médiation pour mettre tous les acteurs autour de la table. Mais en février 2016, le nouveau président de la région Auvergne Rhône Alpes a annoncé la suspension du processus, et une consultation des maires et de la population. Les maires qui se sont exprimés ont été favorables au PNR à 60%, et plus de 24 000 signatures ont été recueillies en ligne pour la pétition « Sauvons la Dombes ». Mais au mois d’août, les présidents de la région et du département ont acté la fin du PNR par courrier. »
Joseph-Pierre Sève président de l’association Les Amis du Parc des oiseaux de Villars-les-Dombes.
Que pensez-vous du projet de PNR ?
« Les acteurs sont nombreux. Tous sont conscients de la nécessité de préserver le patrimoine de la Dombes, mais il s’agit de s’entendre sur les méthodes pour y parvenir La création d’un PNR ne se décide pas comme ça. On ne peut pas détruire toute l’infrastructure sous prétexte de préservation de l’environnement. Il y a trop de gens qui se débattent pour subsister, trop d’investissement des uns et des autres pour tout balayer d’un revers de main. Il faut faire attention à ce que l’on propose. Au sujet de la pollution, bien sûr il y a toujours des gens qui ne respectent pas les règles, mais en grande partie chacun est conscient de la nécessité d’évoluer dans le respect de la nature et s’emploie à y parvenir. Des aides financières sont apportées aux agriculteurs qui cultivent sans pesticides. Quant à la qualité de l’eau, elle est générée par les différents vidages et remplissages qui de ce fait lui permettent de s’oxygéner et de se libérer de ses boues et végétations étouffantes, comme une sorte de centre d’épuration. Au sujet de la disparition des certaines espèces, il y a une chose qu’il ne faut pas oublier, c’est l’incidence du réchauffement climatique sur la nidification et les changements de calendrier qu’il entraîne. Par exemple, certains oiseaux migrateurs migrent plus tard, nichent plus tard et se heurtent à la période de chasse qui, elle, n’a pas bougée. Ce même changement climatique fait disparaître certaines plantes et fait apparaître des insectes différents. Le réchauffement est un phénomène général qui dépasse le seul milieu de la Dombes.
Christophe PREVALETresponsable de l’activité piscicole au sein du golf de Monthieux (ainsi que M Thibault Bonnet technicien piscicole)
Les étangs du golf du Gouverneur à Monthieux font-ils partie des règlementations de gestion de l’eau ?
« Oui. Il y a deux groupes d’étangs reliés les uns aux autres qui pratiquent évolage et assec, et qui sont donc soumis aux règlementations. De plus, dans un souci de préservation de l’environnement, des essais sont en train d’être menés afin que ces deux actions soient compatibles avec le respect de la faune et la flore.
Les lieux dits Le Breuil et Montaplan, font partie d’un ensemble qui pratique la pisciculture, l’agriculture et le golf. Les trois activités font l’objet d’une démarche novatrice. Elles jouent la carte environnementale, avec comme mot d’ordre le non emploi de pesticides et l’utilisation d’engrais en accord avec la démarche de préservation du milieu naturel.
Actuellement les deux groupes d’étangs sont exploités dans le but de cultures « propres ». D’un côté une pisciculture de qualité pendant l’évolage, et de l’autre une culture de céréales sans pesticides pendant l’assec. La nouveauté pour la culture c’est le sarrasin, une plante peu attaquée par les insectes et les maladies, et peu exigeante en eau, à la différence du maïs grand consommateur d’eau et pesticides.
Plusieurs fermes piscicoles nous rejoignent dans la démarche. Une démarche qui concerne aussi l’entretien du golf. Aucun pesticide n’est utilisé sur les fairways*, et les engrais sont naturels. Mais il faut être honnêtes et avouer que les greens*(mais seulement eux)nécessitent encore l’emploi de pesticides.
Pourquoi le grand étang du Breuil a-t-il été vidé ?
Il a été vidé pour cause d’entretien. De nombreux dégâts dus aux galeries creusées par les ragondins ont été constatés. Des barrages ayant été détruits, il faut les reconstruire. Pendant ce temps les poissons ont été mis dans d’autres bassins. Avant sa remise en eau, du sarrasin sera semé et récolté.
Que pensez-vous du PNR ?
Nous avons tous des différents mais aussi des intérêts en commun. La préservation de l’environnement et la défense de la Dombes nous concernent tous, aussi bien les pisciculteurs, les chasseurs, les agriculteurs et les défenseurs de la faune et de la flore. Si l’entente n’a pas encore eu lieu entre les participants, c’est seulement une question de concertation. Si chacun peut s’exprimer et développer son point de vue sur sa situation, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas. Ne désespérons pas d’une entente prochaine.
« Conserver son patrimoine sans entraver son développement tel est le but à atteindre. »
* fairway : allée d’herbe qui va du départ du trou jusqu’au trou. Il y en a 18. Ils peuvent mesurer entre 100 et 500m
*green : zone de gazon ras à l’arrivée du trou
(1) Laurence Berard-Terres et eaux en Dombes
(2) Entretien : Joseph-Pierre Sève président de l’association Les Amis du Parc des oiseaux de Villars-les-Dombes )
(3) PNR : Un Parc naturel régional est un territoire rural habité, reconnu au niveau national pour sa forte valeur patrimoniale et paysagère, mais fragile, qui s’organise autour d’un projet concerté de développement durable, fondé sur la protection et la valorisation de son patrimoine.
(4) Natura 2000 est un réseau européen institué par la directive 92/43/CEE sur la conservation des habitats naturels de la faune et de la flore sauvages (plus connue comme directive habitats), du 21 mai 1992. Encore en cours de constitution, il doit permettre de réaliser les objectifs fixés par la Convention sur la diversité biologique, adoptée lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 et ratifiée par la France en 1996. Le réseau Natura 2000 rassemble des sites naturels ou semi-naturels de l’Union européenne ayant une grande valeur patrimoniale, par la faune et la flore exceptionnelles qu’ils contiennent.
21 octobre 2018
Bonjour, j’aimerais en savoir plus sur la phrase suivante de votre article sur les étangs de Dombes : »Affrontements et querelles s’en suivirent jusqu’à la victoire des carpiers sur les dessécheurs. » Pourquoi parlez-vous de victoire ? y a t-il eu un arrêt soudain des assèchements dû à une décision (administrative, judiciaire …) ?
Votre synthèse est de belle qualité.
11 décembre 2018
Bonjour
Pour apporter les réponses à vos questions, je vous invite à consulter l’ ouvrage de Laurence Bérard « Terres et eaux en Dombes » publié aux Presses Universitaires de Lyon.
Vous pouvez aussi rencontrer les maires des communes concernées, ils se feront un plaisir de vous parler de leur région (dans le respect de leurs horaires de travail, bien sur)
Très cordialement
Josette Bordet