L’ILE BARBE (l’Ile barbare)
L’aridité de l’Insula barbara ou la Barbe fleurie de Charlemagne……
« On dit qu’un jour le Rosne impétueux
Fut de la Sosne ardemment amoureux
Il chérissoit la Nymphe vagabonde
Brûlant d’amour au milieu de son onde ;
Pour se parer et se faire plus beau,
Il se pignoit avec un grand rateau
Et vint couper en cette île sa barbe
Qui tient depuis le nom de l’Isle Barbe. »Amadis Jamyn, disciple du poète Ronsard
Le caractère sauvage et inculte de l’île dans ses débuts lui vaut probablement le nom de « insula barbara » ile barbare, à moins que ce soit une manière de rendre hommage au passage de Charlemagne en faisant référence à sa barbe qu’il avait « fleurie ».
Le peuplement
Malgré l’aridité du sol, la situation de cet éperon rocheux sur la Saône incita de nombreuses communautés à prendre possession du lieu. Le site stratégique de l’île n’échappa pas aux anciens, des vestiges montrent son occupation déjà pendant la période gallo-romaine.
Protégée par les deux bras de la Saône, elle fut un lieu privilégié pour s’y réfugier. Les premiers chrétiens pourchassés purent y trouver la sécurité et y continuer leur vie spirituelle. Elle devint en même temps place forte et lieu de recueillement. Au sommet du rocher, le château-fort adossé au monastère dominait la Saône. Pour autant les mâchicoulis de l’enceinte (encore visibles) ne purent résister aux assauts successifs des barbares. Le château fut détruit à maintes reprises. Cependant l’abbaye qui remonte aux premiers temps du christianisme se développa et prit une importance capitale dans la chrétienté. C’est l’un des plus vieux bâtiments religieux de la région lyonnaise et peut-être de la Gaule. Bien que les premiers siècles soient mal connus, son existence est mentionnée dans plusieurs écrits anciens. Grégoire de Tours la cite au 6e siècle dans son histoire des Francs. Il raconte comment l’abbé Martin a failli se noyer en quittant le monastère de l’île au début du 5e siècle. De nombreuses chapelles et églises sont mentionnées dans les textes aux époques paléochrétienne et carolingienne bien qu’il ne reste aucune trace des bâtiments.
La légende
Les légendes de l’Ile-Barbe se construisent autour de vrais et faux écrits. Les moines successifs revendiquaient la possession du tombeau de sainte Anne, la mère de la Vierge, ainsi que la Coupe utilisée par le Christ lors de la Cène (le Graal). « *Une légende fait de ce Longinus le soldat Longin qui perça le flanc du Christ. Touché de repentir, il se serait retiré sur l’Ile Barbe et y aurait apporté le corps de sainte Anne » Le centurion romain ayant percé le flanc du Christ serait le fondateur de l’abbaye.
« *La tradition rapporte que les barbares s’étant emparés de saint Florent lui tranchèrent la tête avec un soc de charrue, mais le corps décapité se releva et s’élança vers ses bourreaux qui s’enfuirent épouvantés. La tête fut portée par les eaux de la Tille et de la Saône jusqu’à l’Ile Barbe où les religieux la recueillirent et la placèrent dans un riche reliquaire ».
Parmi les reliques et les joyaux accumulés, l’olifant de Roland. Cette trompe, symbole de dignité, qui lui permit d’appeler ses troupes à la bataille de Roncevaux aurait été remis par Charlemagne aux habitants de st Cyr au Mont d’Or en souvenir de leur parenté. Ces légendes furent tenaces jusqu’au pillage de l’abbaye au 16é siècle.
Le développement
La vie monastique s’installa dans ce lieu solitaire, propice à la méditation… A l’origine les terres étaient cultivées par les moines. La réputation de sainteté de certains moines et la situation de sécurité de l’Ile attira de nombreux religieux qui contribuèrent au développement du christianisme dans les alentours. Saint martin y imposa ses règles strictes, saint Eucher son successeur y rédigea son traité du Mépris du monde et son Eloge du désert de Lérins..
Au monastère s’ajouta une nouvelle église. La situation spirituelle et financière s’améliorait de siècles en siècles. Cependant entre le 6e et le 10e de nombreuses calamités s’abattirent sur l’abbaye. La contrée fut ravagée par la guerre entre les Francs et les Burgondes, le monastère saccagé par Ebroïn, le couvent détruit par les Sarrasins jusqu’à la nouvelle destruction du monastère par les Hongrois……..
Il faudra attendre le 11e siècle pour que les largesses des rois, papes, empereurs et archevêques, permettent à l’abbaye de panser ses blessures et d’agrandir son patrimoine. Une bibliothèque importante lui fut attribuée où furent conservés de nombreux manuscrits offerts par Charlemagne après son passage sur l’île. La barbe de l’empereur aurait-elle laissée son empreinte dans le patronyme?
L’abbaye bénédictine de l’ile Barbe était riche et son influence spirituelle, sans dépasser celle de Cluny, s’affirmait sur les sites religieux des environs. Les manuscrits étaient souvent consultés, les enluminures recopiées…Elle possédait de nombreux prieurés, églises, chapelles, dans le Forez, en Dombes, en Dauphiné, en Provence…A cette époque, le monastère bénéficiait d’une grande popularité grâce à ses nombreuses reliques et devint un haut lieu de pèlerinage. Le trésor de l’abbaye était considérable. Outre les ornements précieux, les vases sacrés d’or et d’argent, on pouvait prier devant la Sainte Coupe, le bras de st Martin, le chef de saint Florent, la châsse des Innocents.., Les miséreux vinrent nombreux demander la protection de la Vierge. De grandes processions avaient lieu le jour de Pentecôte avec distribution de pain suivie de danses champêtres. Les seigneurs des Mont d’Or exposaient le cor de Roland le jour l’Ascension et distribuaient le produit des offrandes aux pauvres..
Jusqu’au 13e siècle, il fut un des grands centres artistiques de la période romane. Durant cette période d’abondance, les arts fleurirent. Les artistes furent sollicités pour décorer les lieux de cultes. Il est mentionné que les trois lieux de culte bénéficiaient d’un décor sculpté riche et varié. Des vestiges de décors peints, arcatures ouvragées, chapiteaux ornés, bas-reliefs sont conservés au musée de Gadagne. On retrouve des similitudes de construction et décor dans des églises de Saint-Rambert-sur-Loire, Cluny- Conques…Les mêmes décors à entrelacs, à tiges et à palmettes se retrouvent sur les chapiteaux, les monstres et signes du zodiaque sur les frises et bandeaux.
L’abbaye ne cessa de s’agrandir et s’enrichir tout en bénéficiant d’une certaine immunité et d’une grande indépendance. Les exemptions accordées par les papes permirent d’améliorer la règle de saint Benoit qui elle-même avait adoucit celle de saint Martin. Après la consommation de vin, ce fut celle des gibiers et viandes en sauce, tartes.. qui améliorèrent le quotidien des moines. Les vœux de pauvreté des premiers abbés furent délaissés. Ceux-ci devinrent de véritables seigneurs riches et puissants. Riches de terres, fiefs et redevances, ils eurent pour vassaux les comtes du Forez, les seigneurs de Beaujeu, de Villars, de Montélimar…Ils furent nommés par le Pape et le Roi et non plus par les religieux. « * L’intrigue l’emporta sur le mérite..(..). ».
« *Vers 1350 l’abbé Dégo ne se montrant plus guère à l’abbaye, les moines en profitent pour abandonner réfectoire et dortoir, puis l’assistance aux offices devient très irrégulière, les rudes vêtements de bure font place à des moins austères étoffes, enfin le dérèglement atteint un tel degré que l’archevêque de Lyon doit interdire à l’aumônier et au frère Ruyier « de garder des chiens de chasse, qu’il n’était pas permis d’entretenir de la substance et du pain des pauvres »
La décadence
Est-ce la prospérité et l’abondance des revenus qui entrainèrent la décadence de l’abbaye ? Sans doute, L’autorité de l’abbé s’émoussait, les mœurs des religieux se relâchèrent, les pèlerinages perdirent de leur austérité, les processions étant suivies de réjouissances bruyantes. L’importance de la réussite matérielle domina celle de la règle de Saint-Benoit. A la fin d’un long déclin, les quelques moines restant en poste à l’abbaye espèrent un régime de sécularisation. Celui-ci se met en place au profit de la famille d’Albon qui en perçoit les revenus. C’est à cette époque qu’il est dit que Pierre de Ronsard, le poète à la rose, espéra obtenir la commende de l’abbaye de l’ile Barbe qu’il considérait comme « lieu convenable aux Poètes sacrés ». Le lieu avait perdu de sa sainteté mais il restait propice au recueillement et incitait à la retraite. C’est ici que Maurice Scève y trouva le calme nécessaire après la mort de la femme aimée Pernette Du Guillet. Il composa « la Délie » où il semblait y évoquer l’Ile Barbe. (1530). Aux dires de son biographe, il y fit une longue retraite. A peine stabilisée dans son nouveau statut, l’abbaye reçut le coup de grâce en subissant les outrages des troupes du Baron des Adrets. Les pillages, les détournements d’aumônes et des revenus ainsi que l’absentéisme de l’abbé achevèrent le déclin de l’abbaye dévastée. Les quelques tentatives de remise en état au début du 17e siècle ne furent pas suffisantes pour retrouver son état original. Cependant des gens de toutes conditions continuèrent de s’y retrouver pour dire leurs prières et aussi danser sous les arbres au son de musiques peu liturgiques. Après le séjour à Lyon de Louis XIII et de sa guérison inespérée, Marie de Médicis et Anne d’ Autriche allèrent à pied rendre grâce à Notre-Dame de l’Ile-Barbe. Les bâtiments amputés, les archives décimées et la chute des revenus n’encouragèrent pas les repreneurs. Les échecs successifs des restaurations matérielles et spirituelles contraignirent l’archevêque à unir l’Ile-Barbe au Chapitre de la cathédrale de Lyon. Pour conserver un service divin, le séminaire pour les prêtres âgés fut transféré de la Croix-Rousse à l’Ile-Barbe jusqu’en 1783 et l’histoire religieuse de la belle abbaye prend fin à cette période lors de la vente des bâtiments comme biens nationaux. Pendant l’époque révolutionnaire l’église abbatiale servit de carrière pour la construction des maisons du quartier de Vaise. Divers éléments se retrouvent éparpillés dans des sites environnants: chapiteaux et bas-reliefs au baptistère d’Ainay, bénitier à st Rambert.. . Il reste le charme du lieu, l’harmonie de la nature et des vestiges archéologiques. Les visiteurs de l’ile Barbe purent assister aux essais du premier bateau à vapeur, le pyroscaphe en 1784 ; ils virent passer la barque pavoisée du pape Pie VII en 1805, et suivirent la construction du pont actuel en 1829.
Les vestiges
Sur le site-La porte romane, vestige du grand cloître, conserve un tympan et des chapiteaux sculptés. Au tympan, le Christ, accompagné de deux anges, tient la croix et foule aux pieds l’aspic et le basilic et reprend le thème des inscriptions du linteau « je suis l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin. Je foule aux pieds l’aspic et je terrasse le basilic».Le clocher roman aux fenêtres géminées ponctue le site. Au musée de Gadagne- De nombreuses pierres sculptées, fragments de corniches carolingiens aux rubans d’entrelacs, torsades, oiseaux, bovidés, frises, chapiteaux, statues, sont conservées au musée . La qualité et la richesse du travail de la pierre nous révèlent un art très élaboré, la prospérité et le rayonnement du centre artistique qu’est l’abbaye à l’époque romane .
La visite de la chapelle est possible pendant les journées du Patrimoine
sources :
*La revue du lyonnais, l’ancienne abbaye de l’ile Barbe. Normand. Bibliothèque municipale
Mémoires de pierres- musée de Gadagne
JF Reynaud – Lyon aux premiers temps chrétiens
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2 juillet 2015
Article fort sympathique, une lecture agréable. Ce blog est vraiment pas mal, et les sujets présents plutôt bons dans l’ensemble, bravo ! Virginie Brossard LETUDIANT.FR