Trois mots choisis parce qu’ils sonnent bien., comme le bistanclaque. Nous entrons dans un univers fantastique, rempli de machines énormes et complexes. Des mastodontes encombrants, lourds, armés de poulies, de contre-poids, d’engrenages, de pédales, de roues qui s’agitent ensemble dans un bruit assourdissant et qui , au bout de leur énorme effort, produisent de délicats objets dignes des contes de fées.
Machines à produire du rêve. L’or, l’argent et la soie réunis pour le plaisir des sens.
Lyon a eu la première place dans cette industrie grâce à la sueur, au labeur des hommes et des femmes qui ont actionné ces métiers. Leur savoir-faire, leur goût du beau labeur, leurs luttes pour y parvenir, ne peuvent pas nous laisser indifférents . Le patrimoine lyonnais est important mais menacé par le temps qui passe, la non-information, le désintérêt, le manque d’argent.
Accueillis par l’association Soierie vivante, nous nous trouvons dans l’ ancien atelier de madame Letourneau, passementière, 21 rue Richan. Les métiers, tels qu’elle les utilisait encore en 1980 sont les mêmes, toujours opérationnels. Un historique et une démonstration nous sont proposés par les deux animatrices.
Qu’est-ce que la passementerie ?
La passementerie est la confection de bandes de tissus étroits (passements) comme les galons, réalisés à partir de fils de soie, d’or et d’argent mais aussi de coton, de lin, ou de laine. Plus largement, elle confectionne des ornements d’apparat (militaires, liturgiques, royaux), des éléments d’ameublement ( embrases, glands), des objets utiles (ceintures, cordons, lacets..) et tout ce qui touche le tissage du fil métallique ( gilets d’escrime, tissus aux fils conducteurs…)
On trouvait déjà la passementerie dans les civilisations anciennes. Les pays d’Asie, où l’usage de la soie tenait une place importante, confectionnaient cordelettes, ceintures de kimono, franges et costumes populaires. Puis l’Europe des palais et des églises développa des métiers de la mode et de l’ameublement, en passant par ceux des vêtements militaires et sacerdotaux. La région lyonnaise, soutenue par une Eglise puissante, les riches banquiers et les tréfileries de Lyon et de Tarare qui fournissaient les filés d’or et d’argent, connut un essor considérable dans l’industrie de la soie en général et de la passementerie en particulier, jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Au XIXe siècle, la Croix-Rousse regroupait la grande majorité des travailleurs lyonnais de l’industrie de la soie. La passementerie comptait un très grand nombre de spécialités, plutôt réservées aux femmes (passementières, fileuses, brodeuses, pampilleuses….)Aménagée entre 1835-1845, La rue Richan fait partie de la « Montée de la soierie à la Croix-Rousse ». Environ 1500 à 2000 métiers à petites navettes (passementerie) furent comptabilisés dans la Croix-Rousse en 1860. Une époque où les constructions ne subissaient pas de contraintes, ni plan d’urbanisme, le quartier étant encore situé dans la zonefranche(voir ficelle n°17). Les seules prises en compte des investisseurs sont la solidité , donc immeubles en pierre et non plus en pisé, les hautes fenêtres pour laisser entrer la lumière nécessaire à l’éclairage des métiers (l’électricité n’ayant pas encore fait son apparition) et la rentabilité du logement ouvrier, donc pas de dépenses inutiles en fioritures. Les conditions précaires des ouvriers de la soie qui fabriquent des étoffes de luxe réservées à une riche population, rendent flagrantes les inégalités et entraînent des révoltes ,sanglantes parce que réprimées sans ménagement. *
Paradoxalement, c’est ce « ghetto » qui prend actuellement toute sa valeur , en même temps patrimoniale, parce qu’unique, mais surtout par sa qualité de vie, dans un quartier animé, qu’est la Croix-Rousse. C’est de nouveau « la ruée » vers les logements, mais cette fois par une population aisée. Le prix déraisonnable de l’appartement-canut tient du même paradoxe.Dans l’atelier plusieurs engins nous interpellent :La dévideuse qui permet d’installer sur les bobines les écheveaux fournis par le fabricant. L’ourdissoir, cylindre de 4m de diamètre, qui prépare la chaîne des futurs galons pendant que le rouet prépare la trame. Autant d’ actions préliminaires menées, pour alimenter le métier à tisser. Celui qui nous fait face date de 1860.Il est monumental, construit dans des bois de qualité : le buis et le noyer. Son décor est soigné. C’est en même temps un meuble et une machine-outil que l’on mettait toute une vie à acquérir** Le bistanclaque se fait entendre. Bobines, ressorts, tendeurs, poulies, contre poids et navettes entraînent la chaîne qui s’enroule, se déroule, se soulève pour laisser passer les fils de la trame et créer le galon d’or.
L’atelier de madame Letourneau, est l’un de ces derniers lieux qui montre le travail de la passementerie. L’atelier, devenu musée grâce à la détermination de la passementière et à l’action de l’association, perpétue la mémoire du travail.
Comment fonctionne l’association ? Quels sont ses besoins ?
L’association s’est formée en voulant préserver de la destruction ce dernier atelier de passementerie à la Croix-Rousse Elle vit du bénévolat et de subventions.
L’association a besoin de bénévoles. C’est sa première urgence.
La deuxième urgence consiste à pourvoir un poste de technicien à demeure pour l’entretien de toutes les machines. Une fédération essaie de voir le jour, regroupant les associations, les musées pour avoir gain de cause auprès de la Région.
« C’est en conservant en état certains de ces métiers, et en les faisant fonctionner, que nous pourrons transmettre ces savoirs aux générations futures. »
Comment se porte la passementerie à l’heure actuelle ?
Aujourd’hui, il reste quelques ateliers de tissage à la Croix-Rousse , mais la passementerie a disparu de la production. La région lyonnaise conserve encore quelques usines dans la région qui ont de nombreuses commandes dans tous les domaines. Un vent de mutation anime les entreprises qui repensent leur production pour emporter des parts de marché : matières nouvelles (dorures synthétiques, perles, boas multicolores) des fils et tissus métalliques (gilets d’escrime, tresses et fils conducteurs, mouches pour la pêche, vêtements de sport, chauffants, aérés…)
« la concurrence avec les pays émergents est rude surtout si les élus ne jouent pas la carte de la production française de qualité et continuent de faire leur commande hors territoire – seulement 3000 écharpes de maires de France sur 10000 sont commandées en France- »***
Tous sont unanimes : il faut retrouver le savoir-faire.« non pas pour le muséifier mais pour garder une approche basée sur la création et la vie économique »****.
Il existe encore des compétences.
Faut-il attendre qu’elles disparaissent pour s’intéresser à elles?
*Les révoltes des canuts de F.Rude.
*Voir tous les numéros de l’ Echo de la Fabrique numérisés sur le site de l’ école Normale Supérieure.
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**Gabriel Bannelier « de fils d’or et d’argent » publié par Soierie Vivante
*** Entretien avec D.Gontard des établissements Carlhian .
**** (PDF région aquitaine) :plans de formation. « le collectage de savoir-faire positifs associant une personne expérimentée, un apprenti et un pédagogue…… »
La guimperie, une des spécialité de la passementerie :
la meule, le moulin et la détrancaneuse *, Le premier aplatit le fil doré pour en faire une lame, le second enroule la lame autour d’un fil appelé âme et le troisième l’ enroule d’une manière très précise sur des bobines livrées aux tisseurs. Détrancané veut dire patraque, défait, comme la soie qui est défaite de l’écheveau pour s’enrouler sur la bobine.(Gérard Truchet, président de la société des Amis de Lyon et de Guignol -le parler lyonnais a une connotation familiale..bugne, papillote, quenelle…tout est valeur d’étude (à sauvegarder.)
13 juin 2015
Voilà donc un bon article, bien passionnant. J’ai beaucoup aimé et n’hésiterai pas à le recommander, c’est pas mal du tout ! Elsa Mondriet / june.fr